Extrait du “grand livre des variétés de pommes de terre” de Dorothée Bourget
La pomme de terre, des Andes vers l’Europe
Quand les conquistadores découvrent la civilisation inca qui règne sur le Pérou au milieu du XVIe siècle, ils sont beaucoup plus intéressés par les trésors d’Atahualpa et les mines d’argent de Potosi que par les traditions alimentaires des populations autochtones. Pourtant, les caravelles espagnoles abritent aussi des savants et des chroniqueurs, qui se chargeront d’évoquer ces « papas » ou ce maïs qui soutiennent l’existence des habitants. Une des premières évocations connues de la pomme de terre revient à Piedro Cieza de Lèon, compagnon d’armes de Pizarro et membre de l’expédition qui part à la conquête de l’Équateur vers 1536. Il décrit ces « racines presque semblables à des truffes, dépourvues de toute enveloppe plus ou moins dure » dans sa Chronique espagnole de Pérou publiée en 1553 à Séville. Il a été frappé par les habitudes alimentaires des Indiens des hauts plateaux de Colombie, coutumes qu’il a retrouvées et observées dans les environs de Quito en Équateur. Trempées dans l’eau glaciale puis séchées sous un soleil brûlant, les pommes de terre deviennent ces boules de farine appelées « chuno », nourrissantes et adaptées à la conservation mais probablement peu appétissantes. Les Indiens les consomment également fraîches et bouillies, comme le note le père jésuite Joseph de Acosta dans un livre publié en 1591 à son retour du Pérou. On songe à en nourrir les ouvriers des mines et les marins qui ramènent les galions chargés d’argent. C’est ainsi que des moines sévillans découvrent ces curieux tubercules, lorsqu’il en reste au terme des traversées. Férus de jardinage, ces religieux chargés de soutenir les indigents entreprennent de les cultiver eux-mêmes plutôt que de les acheter. La voie espagnole est ainsi ouverte pour la pomme de terre à partir des années 1560- 1570. Malades et pauvres vont goûter ces tubercules qui n’impressionnent guère les nantis, plus séduits par le chocolat ! la botanique, elle, ne connaît pas de frontières. Très vite, les savants de l’époque vont s’échanger cette curieuse plante. Philippe II d’Espagne adresse des tubercules au pape, qui seront envoyés en Belgique et à Vienne où officie le responsable des jardins royaux Charles de l’Écluse. Ce savant qui traduit différents ouvrages botaniques reçoit des dessins et des descriptions de ses homologues, le suisse Gaspard Bauhin et l’anglais John Gerarde dès 1588. À la fin du XVIe siècle, la pomme de terre est même introduite dans l’Est de la France, via la Suisse ou peut-être directement d’Espagne, dans les provinces sous domination espagnole. Olivier de Serres évoque ces « cartoufles » qu’il cultive en Ardèche dans un article paru dans le « Théâtre d’Agriculture et mesnage des champs » en 1600. On en retrouve des traces en Bourgogne (actuelle Franche-Comté) vers 1620, dans le Dauphiné et même à Paris à titre de curiosité.